Nous avions laissé Isaac de Caille pour mort en Suisse et voici qu'il réapparait à Toulon et abjure la religion de ses pères.
L'abjuration fit du bruit en ce pays de passions religieuses et peu de temps après, la nouvelle en vint à Lausanne. Voilà M. de Caille stupéfait d'apprendre que son fils mort depuis plus de trois ans venait de renier sa foi en Provence. Il s'empressa de mander à M. de Vauvray par l'intermédiaire de la dame Rolland, qu'un intrigant abusait de son nom et il joignit à l'appui de son dire un certificat légalisé prouvant que ce fils était mort en Suisse le 15 février 1696 et un acte de procuration à la date du 6 mai 1699 reçu parle notaire Ribeaupierre contenant sa protestation contre l'imposture. M. de Vauvray, déjà éveillé sur la supercherie, ne se le fit pas répéter. Il donna l'ordre d'arrêter l'imposteur. Mais ce faux de Caille était soldat, il appartenait à la compagnie de Ligondès, placée sous les ordres supérieurs de M. d'Infreville qui commandait les troupes à Toulon. Conflit entre M. d' Infreville et M. de Vauvray. Il fallut en référer à la Cour. M. de Pontchartrain, ministre d'État, parla de cette affaire au Roi, qui, le 11 juin, ordonna de passer outre à l'arrestation, de mettre l'imposteur à l'Arsenal, et de le livrer au Juge ordinaire, pour lui être fait son procès. Ce qui fut fait sans délai.
Le faux Caille fut interrogé une première fois le 19 juin sur sa propre requête. Cet interrogatoire abonde en preuves criantes de l'imposture. Pressé sur les différences de noms qui existaient entre ses propres déclarations et les attestations envoyées de Suisse, le soi-disant Caille répondit qu il n'avait jamais bien connu son véritable nom, que son père lui avait toujours donné ceux d'Entrevergues de Rougon de Caille, qu il croyait avoir vingt-cinq ans, tout d'abord il disait vingt-trois, qu'il n'avait jamais su le nom patronymique de sa mère, qu'il n'avait jamais connu son parrain et sa marraine, qu'il avait dix ans à l époque de son départ de Manosque. Toutes ces réponses trahissaient une singulière ignorance du passé de celui que l'imposteur prétendait représenter. Comment, né dans une classe élevée de la société, ne savait-il ni lire ni écrire? Il prétexta la faiblesse de ses yeux, affligés d'une fluxion depuis sa naissance. Du nom de la rue même du quartier où était la maison paternelle à Manosque, il ne put rien dire. Quelles en étaient les distributions intérieures? Il l'ignorait. Seulement il en décrivit fort exactement les dehors. Combien son père avait-il eu d'enfants? Il répondit trois. Comment était fait son père? Il le dépeignit noir de cheveux et de barbe, brun de visage. Or M. de Caille père avait les cheveux châtains, la barbe rousse, le visage blanc. Sa sœur Lisette, seule survivante des cinq enfants de Caille, sa tante la dame Lignon qui était venue demeurer à Lausanne, sa grand-mère morte à Lausanne, il ne put dire quels étaient, quels avaient été leurs traits, leur taille, leurs cheveux. Voilà on l'avouera un étrange début et un rôle assez mal étudié. Le soldat de marine avait cependant à la fin de ses interrogatoires fait requête au Lieutenant Criminel de Toulon pour être élargi et ressaisi de ses biens. Sur l'ordre du Lieutenant Criminel, l'ensemble des réponses de celui que le procès ne nommera plus désormais que le Soldat de marine fut signifié au sieur de Caille et à ses parents pour y être par eux répondu, le tout communiqué au Procureur du Roi pour être ordonné ce que de raison.
Cependant, si tout chez le Soldat trahissait l'ignorance des faits les plus essentiels, rien en lui ne faisait supposer l'embarras ou la crainte. Lui-même fit lever son interrogatoire et le fit signifier à la dame Rolland, aux sieurs Tardivi et consorts (Jean Pousset), même à des parents du sieur de Caille qui n'étaient intéressés dans la question par aucune possession de biens ayant appartenu aux exilés. La dame Rolland protesta et annonça l'intention de poursuivre l' imposteur au criminel. Une ordonnance du Lieutenant Criminel en date du 16 septembre 1699 porta que le Soldat serait traduit à Manosque et ailleurs pour y être confronté à tous ceux qui le voudraient reconnaître ou désavouer et de son côté le Soldat se hâta de présenter requête en exécution de cette sentence , demandant qu'il fût commis des officiers in partibus à l'effet de cette procédure. M. Rolland se rendit appelant de l'ordonnance, au nom de sa femme, et obtint par requêtes contraires des ordonnances et décrets aux dates des 21 et 27 novembre portant permission d'informer contre le Soldat de la supposition de nom et de prouver que le prétendu fils Caille n'était autre qu'un certain Pierre Mège, fils d'un forçat de galère bien connu depuis vingt ans en Provence.
L'abjuration fit du bruit en ce pays de passions religieuses et peu de temps après, la nouvelle en vint à Lausanne. Voilà M. de Caille stupéfait d'apprendre que son fils mort depuis plus de trois ans venait de renier sa foi en Provence. Il s'empressa de mander à M. de Vauvray par l'intermédiaire de la dame Rolland, qu'un intrigant abusait de son nom et il joignit à l'appui de son dire un certificat légalisé prouvant que ce fils était mort en Suisse le 15 février 1696 et un acte de procuration à la date du 6 mai 1699 reçu parle notaire Ribeaupierre contenant sa protestation contre l'imposture. M. de Vauvray, déjà éveillé sur la supercherie, ne se le fit pas répéter. Il donna l'ordre d'arrêter l'imposteur. Mais ce faux de Caille était soldat, il appartenait à la compagnie de Ligondès, placée sous les ordres supérieurs de M. d'Infreville qui commandait les troupes à Toulon. Conflit entre M. d' Infreville et M. de Vauvray. Il fallut en référer à la Cour. M. de Pontchartrain, ministre d'État, parla de cette affaire au Roi, qui, le 11 juin, ordonna de passer outre à l'arrestation, de mettre l'imposteur à l'Arsenal, et de le livrer au Juge ordinaire, pour lui être fait son procès. Ce qui fut fait sans délai.
Le faux Caille fut interrogé une première fois le 19 juin sur sa propre requête. Cet interrogatoire abonde en preuves criantes de l'imposture. Pressé sur les différences de noms qui existaient entre ses propres déclarations et les attestations envoyées de Suisse, le soi-disant Caille répondit qu il n'avait jamais bien connu son véritable nom, que son père lui avait toujours donné ceux d'Entrevergues de Rougon de Caille, qu il croyait avoir vingt-cinq ans, tout d'abord il disait vingt-trois, qu'il n'avait jamais su le nom patronymique de sa mère, qu'il n'avait jamais connu son parrain et sa marraine, qu'il avait dix ans à l époque de son départ de Manosque. Toutes ces réponses trahissaient une singulière ignorance du passé de celui que l'imposteur prétendait représenter. Comment, né dans une classe élevée de la société, ne savait-il ni lire ni écrire? Il prétexta la faiblesse de ses yeux, affligés d'une fluxion depuis sa naissance. Du nom de la rue même du quartier où était la maison paternelle à Manosque, il ne put rien dire. Quelles en étaient les distributions intérieures? Il l'ignorait. Seulement il en décrivit fort exactement les dehors. Combien son père avait-il eu d'enfants? Il répondit trois. Comment était fait son père? Il le dépeignit noir de cheveux et de barbe, brun de visage. Or M. de Caille père avait les cheveux châtains, la barbe rousse, le visage blanc. Sa sœur Lisette, seule survivante des cinq enfants de Caille, sa tante la dame Lignon qui était venue demeurer à Lausanne, sa grand-mère morte à Lausanne, il ne put dire quels étaient, quels avaient été leurs traits, leur taille, leurs cheveux. Voilà on l'avouera un étrange début et un rôle assez mal étudié. Le soldat de marine avait cependant à la fin de ses interrogatoires fait requête au Lieutenant Criminel de Toulon pour être élargi et ressaisi de ses biens. Sur l'ordre du Lieutenant Criminel, l'ensemble des réponses de celui que le procès ne nommera plus désormais que le Soldat de marine fut signifié au sieur de Caille et à ses parents pour y être par eux répondu, le tout communiqué au Procureur du Roi pour être ordonné ce que de raison.
Cependant, si tout chez le Soldat trahissait l'ignorance des faits les plus essentiels, rien en lui ne faisait supposer l'embarras ou la crainte. Lui-même fit lever son interrogatoire et le fit signifier à la dame Rolland, aux sieurs Tardivi et consorts (Jean Pousset), même à des parents du sieur de Caille qui n'étaient intéressés dans la question par aucune possession de biens ayant appartenu aux exilés. La dame Rolland protesta et annonça l'intention de poursuivre l' imposteur au criminel. Une ordonnance du Lieutenant Criminel en date du 16 septembre 1699 porta que le Soldat serait traduit à Manosque et ailleurs pour y être confronté à tous ceux qui le voudraient reconnaître ou désavouer et de son côté le Soldat se hâta de présenter requête en exécution de cette sentence , demandant qu'il fût commis des officiers in partibus à l'effet de cette procédure. M. Rolland se rendit appelant de l'ordonnance, au nom de sa femme, et obtint par requêtes contraires des ordonnances et décrets aux dates des 21 et 27 novembre portant permission d'informer contre le Soldat de la supposition de nom et de prouver que le prétendu fils Caille n'était autre qu'un certain Pierre Mège, fils d'un forçat de galère bien connu depuis vingt ans en Provence.