Nous avons laissé Isaac de Caille, huguenot, mort en Suisse, ses parents "nouveaux-convertis" restés en Provence en possession de ses biens.
Ces faits divers bien établis, arrivons au commencement du mois de mars 1699. M. de Vauvray, intendant de la marine à Toulon, reçut à cette époque la visite d'un certain abbé Renoux, qui lui amenait un quidam d'assez mauvaise mine. Ce dernier lui dit être le fils du sieur de Caille et lui raconta ce qui suit.
Le sieur de Caille, son père, l'ayant pris en aversion à cause de son intelligence rebelle à l'étude et surtout de son penchant vers la religion catholique, l'avait maltraité à tel point que, pour se soustraire à ses violences, il avait dû fuir la maison paternelle. Ramené plusieurs fois à Lausanne par des parents ou par des amis, il s'en était encore échappé, si bien que son père l'avait étroitement resserré, même emprisonné, jusqu'au jour où, avec le secours d'une servante, il avait enfin réussi à rompre sa captivité. Ce jour-là, profitant du sommeil de son père, il avait pris quarante louis dans la poche de sa culotte et avait gagné pays. Toujours poursuivi du désir d'entrer dans la religion véritable, lui, de Caille fils, ajouta le quidam, avait résolu de revoir la Provence, mais sur la route il avait été arrêté par des soldats de Savoie, enrôlé, puis fait prisonnier par un corps français que commandait M. de Catinat. Présenté au maréchal sous le nom de fils de Caille, il avait expliqué ses intentions, fait naïvement le récit de ses aventures et en avait reçu un passeport pour France. "Une fois arrivé à Nice , dit encore le quidam, je m'engageai dans la milice de Provence. Un jour que j'étais de garde chez le gouverneur, je vis porter par un maître d'hôtel un bassin d'argent aux armes de ma famille, que mon père avait dû vendre avec le reste de sa vaisselle pour subvenir aux frais de notre fuite en Suisse. Cette vue d'un objet, qui me rappelait une heure bien triste de ma vie, me toucha et comme je ne pouvais retenir mes larmes, on m'en demanda la cause". "J'ai bien sujet de pleurer", répondis-je en montrant mon cachet où étaient gravées ces mêmes armes. Le chevalier de la Fare, qui commandait à Nice, informé de cet incident, me voulut voir, me fît raconter mon histoire, et depuis ce jour me traita avec distinction.
M. de Vauvray, qu' intéressa cette aventure, fit quelques questions à ce fils de Caille. Il lui demanda par exemple quel motif l'avait porté, depuis son arrivée en Provence, à garder le mystère sur son état véritable. Car depuis l'aventure de Nice il y avait une lacune dans l'histoire du fils de Caille. Celui-ci expliqua qu'il avait voulu revoir son pays natal, qu'il était venu secrètement à Manosque où une de ses nourrices l'avait reconnu, mais que, sachant la rigueur des lois et n'ayant pas encore abjuré, il avait craint de passer pour un espion des Huguenots. Son seul désir, devenu de plus en plus violent, d'embrasser la religion catholique, avait pu lui délier la langue. Ce qu'il y avait de plus clair dans tout cela pour M. de Vauvray, c'était une conversion à faire. Or les conversions étaient bien venues à la Cour. Les Jésuites, qui pilotaient le quidam, réclamèrent vivement l'honneur de faire rentrer cette brebis dans le troupeau et ils menèrent si rondement l'instruction religieuse du jeune de Caille que, cinq semaines après son apparition, ils le jugeaient digne d'abjurer. La cérémonie se fit, le 10 avril 1699, dans l'église cathédrale de Toulon, entre les mains du Grand Vicaire.
Il faut noter quelques détails singuliers dans cet acte. Le fils de Caille y prenait les noms d'André d'Entrevergues, fils de Scipion d'Entrevergues, sieur de Caille et de feu dame Suzanne de Caille, âgé de vingt-trois ans. Or de Caille père se nommait le Brun de Castellane , seigneur de Caille et de Rougon, ne prenait jamais dans un acte public le nom d'Entrevergues, qui lui appartenait toutefois, et sa femme, demoiselle Judith le Gouche, n'avait jamais, contrairement aux habitudes du temps, pris le nom de son mari . Nous savons, de plus, que le fils de Caille aurait eu en 1699 trente-cinq ans et non vingt-trois. L'imposture était évidente. On n'y prit pas garde à cette heure. Seulement M. de Vauvray, témoin à l'acte d'abjuration, s'étonna fort quand il entendit le fils de Caille déclarer qu'il ne savait point écrire. "Serions-nous pris pour dupes ?" dit l'Intendant de la Marine. Mais les Jésuites étaient si fiers de leur acquisition que M. de Vauvray ne pensa pas à troubler leur triomphe.
Ces faits divers bien établis, arrivons au commencement du mois de mars 1699. M. de Vauvray, intendant de la marine à Toulon, reçut à cette époque la visite d'un certain abbé Renoux, qui lui amenait un quidam d'assez mauvaise mine. Ce dernier lui dit être le fils du sieur de Caille et lui raconta ce qui suit.
Le sieur de Caille, son père, l'ayant pris en aversion à cause de son intelligence rebelle à l'étude et surtout de son penchant vers la religion catholique, l'avait maltraité à tel point que, pour se soustraire à ses violences, il avait dû fuir la maison paternelle. Ramené plusieurs fois à Lausanne par des parents ou par des amis, il s'en était encore échappé, si bien que son père l'avait étroitement resserré, même emprisonné, jusqu'au jour où, avec le secours d'une servante, il avait enfin réussi à rompre sa captivité. Ce jour-là, profitant du sommeil de son père, il avait pris quarante louis dans la poche de sa culotte et avait gagné pays. Toujours poursuivi du désir d'entrer dans la religion véritable, lui, de Caille fils, ajouta le quidam, avait résolu de revoir la Provence, mais sur la route il avait été arrêté par des soldats de Savoie, enrôlé, puis fait prisonnier par un corps français que commandait M. de Catinat. Présenté au maréchal sous le nom de fils de Caille, il avait expliqué ses intentions, fait naïvement le récit de ses aventures et en avait reçu un passeport pour France. "Une fois arrivé à Nice , dit encore le quidam, je m'engageai dans la milice de Provence. Un jour que j'étais de garde chez le gouverneur, je vis porter par un maître d'hôtel un bassin d'argent aux armes de ma famille, que mon père avait dû vendre avec le reste de sa vaisselle pour subvenir aux frais de notre fuite en Suisse. Cette vue d'un objet, qui me rappelait une heure bien triste de ma vie, me toucha et comme je ne pouvais retenir mes larmes, on m'en demanda la cause". "J'ai bien sujet de pleurer", répondis-je en montrant mon cachet où étaient gravées ces mêmes armes. Le chevalier de la Fare, qui commandait à Nice, informé de cet incident, me voulut voir, me fît raconter mon histoire, et depuis ce jour me traita avec distinction.
M. de Vauvray, qu' intéressa cette aventure, fit quelques questions à ce fils de Caille. Il lui demanda par exemple quel motif l'avait porté, depuis son arrivée en Provence, à garder le mystère sur son état véritable. Car depuis l'aventure de Nice il y avait une lacune dans l'histoire du fils de Caille. Celui-ci expliqua qu'il avait voulu revoir son pays natal, qu'il était venu secrètement à Manosque où une de ses nourrices l'avait reconnu, mais que, sachant la rigueur des lois et n'ayant pas encore abjuré, il avait craint de passer pour un espion des Huguenots. Son seul désir, devenu de plus en plus violent, d'embrasser la religion catholique, avait pu lui délier la langue. Ce qu'il y avait de plus clair dans tout cela pour M. de Vauvray, c'était une conversion à faire. Or les conversions étaient bien venues à la Cour. Les Jésuites, qui pilotaient le quidam, réclamèrent vivement l'honneur de faire rentrer cette brebis dans le troupeau et ils menèrent si rondement l'instruction religieuse du jeune de Caille que, cinq semaines après son apparition, ils le jugeaient digne d'abjurer. La cérémonie se fit, le 10 avril 1699, dans l'église cathédrale de Toulon, entre les mains du Grand Vicaire.
Il faut noter quelques détails singuliers dans cet acte. Le fils de Caille y prenait les noms d'André d'Entrevergues, fils de Scipion d'Entrevergues, sieur de Caille et de feu dame Suzanne de Caille, âgé de vingt-trois ans. Or de Caille père se nommait le Brun de Castellane , seigneur de Caille et de Rougon, ne prenait jamais dans un acte public le nom d'Entrevergues, qui lui appartenait toutefois, et sa femme, demoiselle Judith le Gouche, n'avait jamais, contrairement aux habitudes du temps, pris le nom de son mari . Nous savons, de plus, que le fils de Caille aurait eu en 1699 trente-cinq ans et non vingt-trois. L'imposture était évidente. On n'y prit pas garde à cette heure. Seulement M. de Vauvray, témoin à l'acte d'abjuration, s'étonna fort quand il entendit le fils de Caille déclarer qu'il ne savait point écrire. "Serions-nous pris pour dupes ?" dit l'Intendant de la Marine. Mais les Jésuites étaient si fiers de leur acquisition que M. de Vauvray ne pensa pas à troubler leur triomphe.