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dimanche 4 octobre 2009

1699 Sans-Regret

Il se trouvait en effet des gens qui reconnaissaient, à n'en pas douter, dans le faux Caille un Pierre Mège, de Marseille, enrôlé à Toulon dans la troupe de marine. Le Soldat, quand ce nom lui fut opposé dans ses interrogatoires, ne fut pas démonté du coup. Il avoua de la meilleure grâce du monde avoir porté ce nom de Mège, mais ce nom n'était pas le sien et voici ce qu'il raconta. Après l'aventure de Nice, il lui fallait vivre et attendre l'occasion favorable pour revendiquer son vrai nom de Caille. La milice ayant été congédiée, il se rendit à Marseille, logeant le diable en sa bourse. Il n'y fut pas qu'il rencontra une certaine Honorade Venelle, femme d'un Pierre Mège qui vivait avec sa mère et ses deux belles sœurs. Le mari était absent, la femme de mœurs faciles, toutes ces femmes d'ailleurs étaient nées dans la religion réformée et n'avaient abjuré que contraintes et forcées. Ce fut un lien entre elles et le Soldat. Il s'ouvrit à elles de son nom véritable, de ses projets, elles lui persuadèrent de cacher quelque temps encore son nom et sa religion et pour faciliter leur commerce, Honorade consentit à faire passer le Soldat pour son mari absent, pour Pierre Mège. Sous ce nom nouveau, il s'enrôla en 1695 sur la galère la Fidèle, il y servit trois ans, puis fut réformé. Revenu à Marseille il chercha à vivre en vendant d'un certain baume que, disait-il, sa grand mère, la dame de Caille, lui avait appris à composer. Cette industrie remplissant mal la marmite, force lui fut de s'enrôler encore. Il le fit en 1697 à Toulon, sous le nom de Pierre Mège, auquel il ajouta un surnom à la grenadière, celui de Sans-Regret.

Vingt témoins furent entendus dans l'information préparatoire provoquée par le sieur Rolland. Plusieurs déclarèrent que ce n'était point là le fils de Caille avec qui ils avaient fait leurs humanités. Plusieurs autres reconnurent en lui Pierre Mège, soldat de marine depuis 1676. Le Soldat garda en face de ces démentis péremptoires l'attitude la plus calme. Ferme dans la défense, il ne craignit pas d'attaquer toutes les fois que la procédure lui en fournit l'occasion. Il demanda instamment à être confronté à M. Rolland en présence des Juges. Il lui soutint d'un œil intrépide et d'une voix assurée qu'il l'avait vu à Genève, que depuis son abjuration, lui, Rolland, magistrat et catholique d'apparence, avait secrètement fait la Cène dans le grand temple. Il lui décrivit l'habit qu'il portait, le cheval qu'il montait, tout son équipage. Après ce beau coup d'audace, fait pour éloigner du sieur Rolland les sympathies populaires, le Soldat demanda l'exécution de la sentence du 16 septembre 1699 et insista pour être traduit dans tous les lieux où avait fréquenté le fils Caille. Le Lieutenant Criminel ordonna par sentence du 2 décembre 1699 que la Requête serait jointe à la procédure criminelle. Le Soldat interjeta appel de toute cette procédure, obtint un arrêt de défense et se fit traduire à Aix.