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mardi 26 juin 2012

1368 Louis d’Anjou et Bertrand du Guesclin attaquent la Provence

Profitant du départ du pape Urbain V vers Rome, Louis d’Anjou, dont les sénéchaussées étaient infestées par les Compagnies de routiers, décida de les regrouper. Sur la rive droite du Rhône, les plus avertis craignirent que le frère du roi de France utilisât ces soudards à des fins toutes personnelles. C’était le sentiment de Philippe de Cabassolle, le recteur du Comtat Venaissin. Averti du passage dans les différents diocèses languedociens d’une multitude de gens d’armes, le 11 juillet 1367, il annonça au pape la menace que faisaient peser ces « societates » sur les frontières occidentales du Comtat et de la Provence[N 1]. Le recteur, inquiet, ordonna à Pons Bernard, Capitaine de Carpentras, de fermer les portes des remparts de sa ville et d’élever des murs de terres du château de Serres jusqu’à la Porte d’Orange. Urbain V, qui passait l’été à Viterbe dans la forteresse construite par le cardinal Albernoz, prit cette menace très au sérieux. Face à la volonté évidente de Louis d’Anjou d’envahir la Provence et d’occuper le Comtat, le pape demanda aux Provençaux de rester fidèles à la reine Jeanne par une lettre bullée datée du 30 juillet 1367.
Au fil des jours, la menace se précisa. Vers la mi-septembre, sur ordre de l’Angevin, les capitaines des routiers firent mouvement vers la vallée du Rhône. Enfin le 25 septembre, Olivier de Mauny[N 2] et ses troupes s'installèrent à Beaucaire en compagnie du duc. Ils s’y cantonnaient dans l’attente de la venue de Bertrand du Guesclin, toujours prisonnier du Prince Noir à Bordeaux.
L’affaire fut jugée si grave à Rome que le 27 Septembre 1367, une bulle d’Urbain V excommunia tous ceux qui apporteraient aide aux routiers. D’autant que le pape, jugeant Raymond d’Agoult incapable comme sénéchal de Provence, se sentit obligé, le 11 décembre, de donner son sentiment à la comtesse-reine : « Nous croyons qu’il conviendra à ton honneur et état et nous te suggérons d’un conseil paternel ». Il lui proposa de le remplacer par Guillaume Augier de Forcalquier, le sire de Viens[N 3].
Des bruits de mauvais augures traversèrent le Rhône. Dans la sénéchaussée de Beaucaire la rumeur courait que, le 7 février précédent, Bertrand du Guesclin, de passage à Montpellier, avait regroupé tous ses Capitaines routiers[N 4]. Ce fut là qu’il apprit que le duc d’Anjou et son cousin Olivier de Mauny l’espéraient à Nîmes. Le Breton décida de les rejoindre en compagnie du maréchal Arnould d'Audrehem[N 5].
Il fallait se préparer à la guerre. Elle fut déclenchée le 26 février 1368 quand Louis d’Anjou donna ordre aux troupes placées sous le commandement de du Guesclin d’envahir la Provence. Le Sénéchal de Beaucaire, Amiel des Baux, organise leur passage sur l’autre rive du Rhône grâce à des ponts de barques[N 6]. La réaction de Raymond d’Agoult, sénéchal de Provence, se faisant attendre, personne ne fut surpris d’apprendre que, le samedi 4 mars1368, Bertrand du Guesclin avait mis le siège devant Tarascon[7],[N 60]. Au cours de celui-ci, Béranger de Raymond, chevalier d’Avignon, fut tué, tandis que Louis de Trian, vicomte de Tallard, Bernard d’Anduze, seigneur de la Voulte, et Foulques d’Agoult, furent fait prisonniers.
Avant qu’ils ne menacent Avignon, Philippe de Cabassolle fit immédiatement entamer des négociations préliminaires avec les Capitaines de Louis d’Anjou. Un accord fut passé le 23 mars. Pour détourner les Bretons de la cité pontificale, les Avignonnais avaient accepté de leur payer 37 000 florins avec la promesse d’en verser immédiatement 5 000. Pour recouvrer cette créance, Bertrand du Guesclin, dès le lendemain, délégua Janequin le Clerc, son procureur anglais, auprès du banquier avignonnais, André de Tis, mandant de Michel de Baroncelli qui avançait la somme. Mais dans le même temps les Sociétés à la solde du duc d’Anjou mirent pieds dans le comté de Provence.
Le 3 avril, le pape dépêcha un émissaire au roi Charles V[69]. Il était chargé de lui remettre des lettres dénonçant l’agression de son frère contre la Provence, comté de leur parente Jeanne de Naples, ainsi que le scandale de cette invasion sans cause, sans prétexte et sans déclaration de guerre. Pour bien se faire comprendre Urbain V menaçait même le roi de France d’une réplique menée par une coalition contre la Sénéchaussée de Beaucaire et le Dauphiné. Deux jours plus tard, le Doge de Gênes reçut un bref pontifical lui enjoignant de ne pas soutenir les attaques dirigées de la France contre la Provence.
Le Sénéchal Raymond d’Agoult, qui avait enfin levé des troupes, se porta au secours de Tarascon et d'Arles, assiégées depuis le 23 mars par messire Bertrand. Au cours de ce siège, Guiraud de Simiane, Arnaud de Villeneuve et Isnard de Glandevès, seigneur de Cuers, furent faits prisonniers. La rencontre des deux armées eut lieu devant cette cité le 11 avril.
Luquet de Girardières, le lieutenant du sénéchal, se heurta au « Dogue Noir »[N 61], qui à la tête de ses troupes attaque la cavalerie provençale. L’affrontement se solda par la déroute des troupes fidèles à la reine Jeanne.
La débâcle des nobles provençaux imposait de mettre en place des mesures rapides pour éviter le désastre. Les États de Provence se réunirent d’urgence le 21 avril, à Aix-en-Provence, et chargèrent Louis de Trian, libéré après rançon, de prendre la défense de la capitale du comté. Pendant ce temps, une bulle pontificale, datée du 18 avril, porta condamnation des Avignonnais qui ravitaillaient les Bretons assiégeant Tarascon. Tandis que le 27 du même mois, Urbain V se vit obligé de rassurer par lettre la reine Jeanne. Le pape lui confirma qu’il ne se laisserait jamais abuser par les mensonges de ses adversaires et l’exhortait à secourir et aider ses très fidèles provençaux.
Ce ne fut pas pour inquiéter les Français et les Bretons. Leur seul problème, pour l’instant, était de transférer de nouveaux renforts sur la rive provençale du Rhône, le pont de barques mis en place par Amiel des Baux ayant cédé. Il fut réglé le 20 mai, Louis d’Anjou ayant débauché Rainier Grimaldi, seigneur de Monaco, qui remonta le Rhône pour assurer le passage des derniers routiers de du Guesclin. Deux jours plus tard Tarascon capitula.
L’incapacité du sénéchal de Provence ayant miné la confiance, même dans le Comtat, il fallut une bulle pontificale, datée du 26 mai, pour remettre les esprits en place. Urbain V ordonna à tous les nobles comtadins de suivre à la lettre les directives données par le recteur Philippe de Cabassolle.
Face à une telle agression, toute la Provence s'inquiéta. Le 5 juin 1368, le Conseil de Ville de Sisteron, instruit des sévices de Bertrand du Guesclin, décida de suivre l’exemple des cités voisines qui fermèrent leurs portes « en criant que le diable venait ». Le Conseil statua que tous ceux qui refuseraient de monter la garde aux remparts ou qui abandonneraient leur poste sans qu’ils en aient eu l’ordre seraient passibles d’une amende de 100 marcs d’argent ou auraient une main ou un pied coupé.
Le 12 juin, le sénéchal de Provence se dit informé que « Bertrandus de Cliquino » - comprendre Bertrand du Guesclin -se dirigeait avec ses compagnies vers Barjols, Flayosc et Draguignan.
Mais le mercredi 5 juillet, elles se trouvaient devant Aix, défendue par le vicomte de Tallard. Et pendant que les Bretons mettaient le siège avec leurs machines de guerre, Raymond d’Agoult, fils du sénéchal, en profitait pour faire attaquer Aigues-Mortes afin de bloquer les arrières français[. L’archevêque d’Arles, Guillaume de la Garde, s’étant ouvertement déclaré pour Louis d’Anjou, fut mis en accusation pour trahison et crime. Le sénéchal donna ordre à son lieutenant Luquet de Girardières de se saisir du temporel de l’archevêque.
Les Bretons, tout en continuant à ravager la province convoitée par le frère du roi, envisageaient une jonction avec les troupes de Grimaldi à Nice. Certaines compagnies se dirigèrent déjà vers la côte. De plus, on disait qu’Olivier du Guesclin, le frère de Bertrand, s'en allait vers les Baronnies pour s’installer dans cette région où s’entremêlaient les terres adjacentes dauphinoises et provençales. Il installa, en effet, ses troupes dans les fiefs baronniards de la maison des Baux[.
Confirmation fut donnée le 18juillet1368 quand Raymond d’Agoult leva quatre cent lances[N 66], la fine fleur de la noblesse provençale, pour traverser le Luberon et rejoindre la vallée du Calavon. Les Bretons avaient évité d’attaquer Apt car la ville était trop bien protégée par ses remparts et ses bouches à feu, trente bombardes garnies « per lo passage de Mosenhor Bertran de Cliquin »[. Immédiatement les lances du Sénéchal se lancèrent à la poursuite de cette « Longue Route ».
Arrivée en vue du village de Céreste, l’avant-garde du sénéchal traversa le village et se trouva face aux Routiers. Les cavaliers provençaux se lancèrent à l’attaque. Ils furent secoués, malmenés, bousculés et taillés en pièces aux cris de «Notre-Dame Guesclin » ! Ce fut à nouveau une cuisante défaite.
Le 9 août, Raymond, le prince d’Orange, mit sa ville en état d’alerte. Le 20 août, Perrin de Savoie et le Bâtard de Comminges, qui avaient quitté les Baronnies où se cantonnait Olivier du Guesclin, traversaient le fleuve au pont du Saint-Esprit. Ils avaient averti le Prince d’Orange qu’ils ne feraient que passer sur ses terres. Ce qui ne les avaient point empêché de mettre à sac le village de Sainte-Cécile dans la vallée de l’Aigues.
Le passage des Sociétés de « Mosenhor de Cliquin » avait laissé le pays exsangue. Tout avait été ravagé. Des villages, hameaux, bastides et écarts avaient été mis à sac, brûlés ou vidés de leurs provisions. Dans le Comtat, les impositions pontificales[ qui arrivaient à la suite de ces exactions et pillages provoquaient une émotion qui se mua bien vite en rébellion armée des « Laborieux ».
C’était tout un peuple qui s’insurgeait. La répression des nobles provençaux fut terrible. Dans chaque hameau et village nombre de paysans furent pendus pour l’exemple, d’autres enterrés vifs, enfin certains furent tout bonnement broyés sous des meules de moulins. Leurs femmes et leurs filles furent violées.
À Montefiascone, les nouvelles des évènements de Provence firent l’effet d’une catastrophe. Bien que coincé entre sa sympathie pour la cause française et son écœurement face aux exactions commises par le frère du roi en Provence, Urbain V ne balança point. Une bulle datée du 1er septembre 1368 excommunia Bertrand du Guesclin et sa clique. Elle fut totalement occultée en France. Immédiatement Charles V fit intervenir les cardinaux du parti français pour la faire annuler. Urbain V ne céda pas et l’excommunication fut rendue publique le 14 septembre.
 
Source : Wikipédia.
Notes :

Le terme « societates » (sociétés) désignait les groupes constitués allant de l’organisation d’un quartier à une compagnie de Routiers.
Olivier de Mauny, pour ses bons et loyaux services, fut fait capitaine général de Normandie et devint chambellan de Charles VI.

Raymond d’Agoult, troisième Sénéchal de Provence issu de la famille comtale de Sault, garda non seulement ses hautes fonctions mais devint Amiral du royaume de Naples pour les mers du Levant et fut chargé de conduire des ambassades pour la reine Jeanne en Italie et en Espagne.

Bertrand du Guesclin, rançon payée, avait été libéré 27décembre1367 par le Prince Noir et avait immédiatement quitté Bordeaux.

Arnould d’Audrehem (1305-1370) était devenu le bras droit de du Guesclin.

Louis, duc d’Anjou, pour ses œuvres, fut qualifié « d’exacteur, mais viril et intelligent ». Il avait nommé Amiel des Baux, Sénéchal de Beaucaire, en remplacement de Gui de Prohins, le 23 avril 1367. Le Bâtard succédait ainsi à son père Agoult et à son demi-frère Bertrand.

L'importance de Tarascon était devenue primordiale à partir du XIIe siècle. Son emplacement stratégique en faisait le verrou de la basse vallée du Rhône. En effet, le contrôle de la navigation avait une importance capitale à une époque où les routes étaient peu praticables et peu sûres. De cette époque, date l'établissement, à proximité immédiate du premier château, de familles nobles ainsi que de marchands et commerçants. La ville, qui faisait face à Beaucaire, siège de la Sénéchaussée, fut ceinte alors de remparts et une première réfection du château entreprise à la fin du XIIIe siècle.

Héros incontournable de nos livres d’Histoire de France, le futur connétable de France, tout comme l’Archiprêtre et les Tard-Venus, eût un goût particulier pour rançonner et piller Avignon et la Provence. Si Innocent VI, pour voir déguerpir ces Routiers accepta toujours de leur payer tribut, Urbain V fut heureusement moins souple avec Bertrand du Guesclin.

Ces renseignements sont contenus dans le « Livre Vert », un des rares documents municipaux conservés depuis le XIVe siècle. Le 9 juin 1368, le Conseil de Ville de Sisteron, qui avait engagé des gens d’armes piémontais (tramontanos) assista à la montre. Francheschino Bolleris, bayle (bailli) et Capitaine de Sisteron, seigneur de Roccasparvera, présenta aux syndics Jean Baudoin et Pierre Autard, les 25 brigands placés sous le commandement des connétables Jacques Brutini de Rivoli et Jean Ruelle de Savillon. Moyennant leur solde, ceux-ci s’engageaient pour un mois à défendre la ville et à ne pas en sortir sous peine d’amende. Le Conseil rappela qu’il est le seul habilité à louer des compagnies et à les passer en revue en compagnie du bailli.

Seul Froissart le nomme Bertrand du Guesclin. En Bretagne, il était désigné comme Bertrand de Gueaqûi, tandis que les différentes chroniques qui font état de ses faits d’armes l’appellent indifféremment Glacquin, Claquin, Gleaquin, Glyaquin, Glesquin, Gleyquin, Cliquin ou Claiquin.